RICHARD MILLE | La direction en interview: Tim Malachard

» Nous avons un beau problème…


La demande reste supérieure à l’offre, malgré l’augmentation continue du volume de production. Avec l’intégration du retail, l’entreprise Richard Mille se rapproche du milliard de francs de chiffre d’affaires.

 

Interview Stéphane Gachet

WATCH AROUND: Un mot sur vous pour commencer. Vous venez du secteur automobile, quel a été votre premier contact avec l’horlogerie ?

TIM MALACHARD: Une montre offerte par mon père. Une petite Yema de plongée… qui est par ailleurs une marque dont Richard Mille s’occupait au temps de Matra! Par la suite, la passion pour l’horlogerie ne m’a jamais quitté.

Cela fait exactement dix ans que vous vous occupez du marketing chez Richard Mille et vous prenez toujours plus la parole au nom de la marque. Cela signifie-t-il que l’entreprise change ?

L’entreprise évolue. Richard Mille et Dominique Guenat (les deux partenaires et propriétaires, ndlr) restent très présents même s’ils prennent un peu de recul avec l’opérationnel et s’appuient sur des collaborateurs qui ont grandi avec la marque – j’en fais partie. C’est aussi un geste de transition familiale: les enfants des deux parties sont très actifs dans la société.

Entrons dans le vif du sujet : quel résultat projetez-vous pour cette année ? Et pour 2020 ?

Nous avons un beau problème : nos stocks sont plus bas que la demande, certaines boutiques présentent même des vitrines vides. Une grande partie de notre travail consiste à gérer ces dernières, tout en essayant d’éviter au maximum les frustrations de nos clients.

Comment cela se traduit-il ? En volume ?

Nous avons fabriqué 4600 pièces en 2018, nous en produirons 4900 cette année et nous projetons 5200 sur 2020.

Vous êtes donc toujours en croissance continue à deux chiffres… N’y a-t-il pas de limite ?

Nous ne savons pas jusqu’où nous pouvons aller. Il n’y a jamais eu d’étude de marché et nous n’avons pas de concurrents directs. Ceci dit, nous n’irons jamais chercher la croissance à tout prix, nos clients sont très sensibles à l’exclusivité de la marque.

Rester exclusif et rare est donc une condition du succès.

Oui, mais cette condition n’est pas une décision stratégique, c’est une conséquence naturelle. Notre croissance suit notre capacité à produire des montres dans nos critères de qualité.

Nous avons parlé du volume, qu’en est-il de l’évolution du chiffre d’affaires ?

Nous terminerons l’année 2019 sur un chiffre d’affaires de 360 millions de francs, ex-factory (près de 300 millions en 2018, ndlr), à quoi s’ajoute le chiffre d’affaires consolidé des boutiques Richard Mille (soit plus de 900 millions de francs au total, ndlr). Toujours selon la même répartition géographique: 30% États-Unis, 30% Europe et Moyen-Orient, 30% Asie et 10% Japon. Toujours dans le souci de n’être dépendant d’aucun marché – la Chine ne représente même pas 5%.

L’arrêt complet des détaillants est toujours prévu pour la fin de l’année ?

Je vous le confirme, comme nous l’avions annoncé en 2018.

Combien de détaillants sont-ils encore actifs aujourd’hui ?

Nous travaillons encore avec une petite trentaine de détaillants, mais cela n’empêche pas que certains restent dans le giron de la marque, à travers des boutiques en franchise.

Combien de boutiques tenez-vous aujourd’hui ?

42.

Proche de l’objectif maximal, donc ?

En effet, Richard Mille (l’homme) a toujours pensé que 50 boutiques en propre était un plafond. Mais il y a encore beaucoup d’endroits dans le monde où nous ne sommes pas présents. En Amérique latine par exemple, nous ne sommes qu’à Buenos Aires. En Chine, nous ne sommes présents qu’à Shanghai et Pékin. Nous n’avons aucune enseigne dans les pays de l’Est. Nous avons une seule boutique en Allemagne. En Russie, nous ne sommes présents qu’à Moscou. Le but n’est - ceci dit - pas d’ouvrir n’importe où ni d’augmenter à tout prix le nombre de boutiques: nous devons rester cohérent avec notre production.

L’intégration du retail vous a-t-elle permis de mettre un terme aux problèmes de marché parallèle et de discount ? 

Tout à fait et il n’y a plus de problème de discount depuis déjà quelques années.


»Nous avons la chance énorme d’avoir affaire à une clientèle passionnée qui ne cherche pas des prix, mais simplement à avoir accès aux pièces. – Tim Malachard


Et les appels d’air liés à l’évolution des monnaies ?

Nous les contrôlons également: tous les prix sont émis en francs suisses, hors-taxes, et sont ajustés au cours du jour. Nous avons la chance énorme d’avoir affaire à une clientèle passionnée qui ne cherche pas des prix, mais simplement à avoir accès aux pièces. De fait, nous devons investir massivement dans nos boutiques et forces de vente. 

Et vous n’êtes pas les seuls à rechercher ces compétences, quelle est votre stratégie de recrutement ?

La passion avant tout doit pouvoir être partagée avec nos clients et être accompagnée d’une parfaite connaissance technique des produits. C’est le cœur et l’énergie de la marque Richard Mille depuis sa création en 2001 qui font vibrer nos clients car on vend bien plus que des montres. Nous devons expliquer et justifier nos prix sans cesse par la difficulté que nous avons à fabriquer de telles complications.
Nous ne sommes pas à la recherche de vendeurs ayant des années d’expérience dans la vente des montres haut de gamme mais d’une mentalité axée autour du service et d’un parfait accompagnement de nos clients. Nous avons dans nos boutiques des personnes venant de différents horizons, compagnies aériennes, hôtellerie etc. Nos clients sont de plus en plus sophistiqués et nous devons répondre à leurs attentes, les surprendre tout en restant parfaitement humble.

Combien de collaborateurs en boutique ?

Actuellement plus de 200 personnes et nous recrutons.

Plus qu’à la production ?

En effet, nous sommes 170 en interne à la production aux Breuleux et nous continuons de recruter.

Maintenant que vous avez intégré quasiment toute la distribution, avez-vous une idée plus concrète de votre base de clientèle ?

Depuis la création de la marque en 2001, nous avons produit plus de 41'000 montres et beaucoup de collectionneurs nous suivent. Nous avons de nombreux clients fidèles et comptons aujourd’hui de plus en plus de clients de moins de 35 ans. Nous sommes une marque multigénérationnelle.

Mesurez-vous une évolution ? Un rajeunissement par exemple ? 

Depuis 10 ans, nous mesurons un rajeunissement. La clientèle est de plus en plus jeune, et nous sommes toujours plus suivis sur tous les réseaux sociaux. Plus de la moitié des visiteurs de notre site web ont entre 20 et 35 ans et depuis 2015, nous sommes passés de 10'000 à plus de 960'000 abonnés sur notre compte Instagram.

Qu’en est-il du prix moyen : comment a-t-il évolué en 10 ans ?

Il y a 10 ans, il était sous la barre des 100'000 francs. Il est aujourd’hui à 180'000 francs et cela reflète surtout l’évolution de la collection, qui compte désormais des pièces avec des boîtes saphir vendues à plus de deux millions de francs.

Même question pour le prix d’entrée.

Il était à près de 40'000 francs sur des modèles pour femmes. L’entrée est aujourd’hui à 70'000 francs.

Le bestseller, toujours le chronographe RM 011 ?

Toujours: plus de 1000 pièces produites et vendues cette année avec nos références RM 11-01, RM 11-02 et RM 11-03. Nous pourrions en produire plus, mais nous refusons de devenir monoproduit. À notre niveau, nous sommes une marque généraliste qui couvre des niches: Richard Mille est connu pour ses montres tonneaux, mais nous en proposons aussi des rondes comme par exemple les RM 033 Extraplate et RM 63-02 Heure Universelle ainsi que des rectangulaires telles que les RM 016 ou RM 017 Extraplate.

Et la montre dame, que représente-t-elle aujourd’hui ?

La collection femmes représente 27% du volume cette année. Nous sommes donc proches de l’objectif de 30-35% fixé il y a cinq ans lors de la sortie des calibres maison des RM 07-01 et RM 037. La clientèle féminine a largement contribué à l’augmentation de notre volume: en 2014, nous produisions 2800 contre 4900 cette année.

L’un des domaines en forte évolution reste les calibres maison. Quelle est leur part aujourd’hui ?

En termes de volume, nous produisons plus de 2000 montres équipées de calibres in-house et cela n’a cessé de progresser, en parallèle de la production interne de boîtiers (près de 95% de la production). Toutefois, comme nos volumes augmentent, nous augmentons aussi nos commandes auprès de nos partenaires historiques, Manufacture Vaucher et APRP (entité des mouvements spéciaux d’Audemars Piguet, ndlr). 

Question partenariat maintenant: Richard Mille a toujours été associé à l’automobile et votre image est encore très fortement marquée par l’automobile. Ne craignez-vous pas d’être en porte-à-faux avec les valeurs actuelles, l’écologie, la planète, les océans, etc. ?

Nous produisons des montres avant tout et notre conscience écologique s’illustre au niveau de notre production et au niveau de nos unités de production, par des panneaux solaires, la géothermie, etc. et utilisons toutes les sources possibles d’énergies renouvelables.
La mobilité en général fait partie de l’univers de Richard Mille. Nous sommes aussi partenaires d’Airbus Corporate Jet. Quant à l’automobile, nous y sommes associés car c’est un fabuleux secteur de développement et de contraintes. La F1 est à la pointe de la sécurité passive, à la pointe de la recherche en matière de consommation, de poids des véhicules, de moteurs hybrides. Nous sommes partenaires de la Formule E (F1 électrique, ndlr) depuis sa création en 2014. Nous suivons l’écologie à travers nos partenariats et savons tous que l’automobile a fait d’énormes progrès et vit actuellement une mutation très importante.

Et comment va Monsieur Mille ?

Toujours olympique et passionné, un vrai moteur. La marque a toujours été proche de ses valeurs et il est toujours resté fidèle à lui-même ! |


 

N°43
Nov.-Déc. 2019

 
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SOMMAIRE | 43
Stelux Holdings | Monocoque | Lonis | Auguste Reymond et l’Unitas | Longines | Visite chez Tudor | Calibre 11 | Armin Strom | Interview Tim Malachard, Richard Mille | Maurice Lacroix & les salons | Interview Guido Zumbühl, Bucherer | Swiss Kubik | Van Cleef & Arpels | Vacheron Constantin | A. Lange & Söhne…